2.2.1. Définition de concepts complémentaires | Mémoire sur les communautés de pratique / cadre théorique

ℹ️ Contexte 
Cette note fait partie du carnet "La communauté de pratique comme stratégie de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale", un mémoire qui propose un regard critique sur le déploiement de la démarche Passerelles 1 (2018-2022) et qui vise à identifier les conditions de succès et les facteurs à considérer pour ce type particulier de communautés de pratique (CdP).
Table des matières | Résumé | Références

Wenger a défini quelques concepts fondamentaux permettant de bien saisir les dynamiques au sein des CdP. Ils sont régulièrement évoqués par d’autres auteur·trices pour expliquer les processus d’apprentissage et pour mieux comprendre les conditions de succès des CdP.

2.2.1.1. Engagement mutuel, entreprise commune et répertoire partagé

Pour Wenger (2005), les trois principales dimensions d’une CdP sont l’engagement mutuel, l’entreprise commune et le répertoire partagé.

L’engagement mutuel est présenté comme la volonté de faire des choses ensemble. Il implique la création de liens entre les individus, avec toute la complexité que cela peut générer. Un minimum d’interactions est nécessaire pour que se crée l’appartenance au sein d’un groupe, écrit Wenger. Cet engagement ne mène pas vers une homogénéisation du groupe, chacun·e conservant son identité propre. Pour Wenger, « les désaccords, les défis et la compétition sont des formes de participation » (p. 85).

Le groupe s’engage dans une entreprise commune, qui se définit par les participant·es en cours de processus. Cette entreprise reste dynamique, sujette à une interprétation, négociée et évolutive (Wenger, 2005). C’est à la fois un objectif et « une relation de responsabilité mutuelle » (idem, p. 87) qui ne doit pas être issu d’un seul individu ou orienté par une décision extérieure au groupe. Les inspirations ou les influences externes sont tout de même pertinentes, pourvu que le groupe soit en mesure de librement définir l’entreprise commune qui l’unit.

Un groupe qui interagit sur une base régulière et sur une longue période produit des documents de référence et des ressources, mais aussi des histoires, des styles, des artéfacts, des outils, des discours, des routines, des concepts, etc. Tout ceci constitue progressivement un répertoire partagé (Wenger, 2005), aussi appelé bagage commun ou langage commun. Pour Wenger, le répertoire partagé est hétérogène et sujet à interprétation, mais il est néanmoins une source d’engagement. « Cela contribue aussi à rendre ces processus dynamiques, toujours ouverts et générateurs de nouvelles significations » (Wenger, 2005, p. 92).

Tremblay (2006) mentionne que le répertoire partagé facilite les échanges. Il permet d’éviter des incompréhensions et des conflits, sans pour autant éviter les tensions. Il ne faut pas le considérer comme une « plateforme servant de base à un consensus collectif », précise-t-elle, mais comme « un ensemble de ressources mobilisables pour la négociation de sens dans les situations d’interactions » (p. 5).

2.2.1.2. Négociation de sens, participation et réification

Tout comme l’entreprise commune, pour Wenger (2005), le sens est négocié entre les membres d’une CdP. L’auteur définit la notion de sens comme étant la signification de ce que l’on fait et la signification donnée aux connaissances. Il définit la négociation de sens comme un processus actif et dynamique de construction, de discussion et d’adaptation continue. « Le sens n’existe ni dans l’individu ni dans le monde, mais bien dans la relation dynamique qui caractérise la vie dans le monde » (p. 60). Ceci  fait écho aux principes mis de l’avant par l’approche interactive ou circulaire du TC décrits plus haut.

La participation, conflictuelle ou non, est un engagement des individus et une « expérience sociale » qui contribue à la construction des identités (Wenger, 2005). L’auteur voit la participation au sein d’une CdP comme un noyau qui devient de moins en moins actif dans les périphéries du groupe. Les degrés de participation sont donc variables, ce que Wenger décrit comme étant des « formes variées d’accès informel et légitime » (p. 129). Les « participations légitimes périphériques », qui sont visibles et éventuellement acceptées par le groupe, vont de la simple observation à des engagements réels. Les zones sont perméables entre elles. Les échanges entre ces zones constituent des occasions d’apprentissage et de changement.

Wenger, McDermott et Snyder (2002) proposent de favoriser la cohabitation de divers niveaux d’engagement. Certains groupes sont tentés de concentrer leurs activités exclusivement autour d’un noyau plus actif de participant·es, voire à rejeter les membres moins actifs, qui ne sont alors plus considérés comme légitimes. Or, différents niveaux de participation amènent autant de nouvelles perspectives, selon les auteurs. De plus, il serait irréaliste d’espérer le même niveau de participation d’individus ayant chacun des attentes et des réalités différentes.

Wenger, McDermott et Snyder croient qu’il est normal qu’un noyau de participant·es assumant un certain leadership ne représente que 10 % à 15 % de la communauté. Un second noyau actif représente 15 % à 20 % des membres. Les autres membres, qui constituent une large portion, ne sont pas réellement inactifs pour autant. Ils observent les interactions, ils apprennent, ils développent des perspectives et ils sont susceptibles de se rapprocher du centre si leurs champs d’intérêt les interpellent à un moment spécifique. Ces auteurs affirment même qu’ils constituent une dimension essentielle de la vitalité des CdP.

Certains des membres qui se retrouvent dans un rôle de participation périphérique se situent à la frontière de la CdP. Ils contribuent à redéfinir les contours de la CdP et ils peuvent devenir des agent·es de liaison pour favoriser la coopération ou le TC avec d’autres CdP.

Pour Tremblay et Rochamn (2013), la participation périphérique peut d’ailleurs être « source d’apprentissages intéressants, parfois insoupçonnés » (p. 24). Le CEFRIO (2005), à partir des travaux de Lave et Wenger, rappelle que c’est également à travers la participation périphérique que s’effectue l’arrivée de nouveaux individus dans une pratique. Ils apprennent progressivement par les personnes qui exercent déjà cette pratique. Bien conçue et bien animée, une CdP peut donc faciliter l’entrée en poste de nouvelles personnes, ce qui est particulièrement apprécié dans des milieux où on observe un taux élevé de renouvellement des équipes.

La réification, quant à elle, ce sont les formes, simples ou complexes, que les individus donnent à cette participation. C’est une manière de donner vie à des concepts. Ceci s’effectue par multiples processus, tels que : « fabriquer, concevoir, représenter, nommer, codifier, décrire, percevoir, interpréter, utiliser, réutiliser, décoder et remanier » (Wenger, 2005, p. 65). Il s’agit de « créer des points de focalisation autour desquels la négociation de sens peut s’organiser », selon les mots de Demers et Tremblay (2020, p. 11). À travers le processus de réification, nos significations sont projetées dans le monde extérieur et atteignent une existence indépendante, selon Hildreth et Kimble (2002).

Pour Wenger, la participation et la réification constituent une « dualité fondamentale ». Elles se complètent et se nourrissent mutuellement. C’est cette dualité qui permet la création et la négociation de sens. L’équilibre qui doit être trouvé entre la participation et la réification devrait faire partie de la conception même de la CdP.

2.2.1.3. Construction d’identité

Un autre élément clé de la définition des CdP est la notion d’identité, qui, selon Wenger (2005), se construit et se transforme à travers les appartenances à diverses CdP et les significations qui en émergent. L’apprentissage, explique-t-il, « transforme ce que nous sommes et pouvons faire, donc construit des identités » (p. 236). À la fois individuelle et collective, l’identité constitue un « pivot » entre l’individu et le social.

L’identité est ainsi « un ensemble de niveaux de participation et de réification par lesquels l’expérience et son interprétation sociale se construisent mutuellement » (idem, p. 169). Elle s’actualise à travers une négociation de sens et elle permet de construire des points de repère qui nous amèneront à nous engager ou non dans un groupe.

La CdP se pose alors comme « une proposition d’identité » (idem, p. 174), ou plutôt comme des propositions de multiples identités qui coexistent, puisque différentes formes d’appartenances à diverses CdP cohabitent. Les CdP elles-mêmes définissent leurs identités les unes par rapport aux autres et l’identité des individus se définit à travers les différents niveaux de participation (ou de non-participation) et d’appartenance aux communautés. On retrouve ainsi des logiques d’articulation et de connexion entre les identités, mais pas de fusion, précisent Tremblay et Rochamn (2013).

À l’échelle d’une organisation, les CdP peuvent être perçues comme une source d’émergence et de renforcement des identités au sein des équipes. Paré et Francoeur (2020) notent d’ailleurs que l’identification des employé·es et le développement d’une identité professionnelle à travers une pratique partagée sont des préoccupations qui gagnent en importance dans les entreprises.

Suite : 2.2.2. Typologies | Mémoire sur les communautés de pratique / cadre théorique

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Intégré par Joël Nadeau, le 5 décembre 2023 16:44
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5 décembre 2023

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6 décembre 2023 17:43

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