2.1. Le transfert de connaissances | Mémoire sur les communautés de pratique / cadre théorique

ℹ️ Contexte 
Cette note fait partie du carnet "La communauté de pratique comme stratégie de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale", un mémoire qui propose un regard critique sur le déploiement de la démarche Passerelles 1 (2018-2022) et qui vise à identifier les conditions de succès et les facteurs à considérer pour ce type particulier de communautés de pratique (CdP).
Table des matières | Résumé | Références

2.1. Le transfert de connaissances (TC)

Notons d’emblée que le TC est parfois nommé mobilisation des connaissances, gestion de connaissances, partage de connaissances, courtage de connaissances ou application des connaissances. Graham (2006) a identifié une trentaine d’appellations différentes.

Des chercheurs de l’NSPQ définissent le TC comme « différentes stratégies de diffusion et d’appropriation des connaissances en vue de leur utilisation par les milieux de pratique, les milieux de décision ou le grand public » (Lemire, Souffez et Laurendeau, 2009, p. 7), mettant l’accent sur l’appropriation des savoirs scientifiques.

Le champ d’études sur le TC, ou la « science de l’utilisation de la science », vise à comprendre comment promouvoir et soutenir de façon efficace l’utilisation des connaissances par différentes stratégies.

La littérature sur le TC s’intéresse surtout aux connaissances explicites issues de la recherche et s’adressant à des utilisateur·trices potentiel·les de ces connaissances produites. Néanmoins, de plus en plus d’organisations au Québec valorisent l’ensemble des types de connaissances et misent sur une approche qui n’est plus seulement unidirectionnelle, c’est-à-dire qui reconnaît les différents types de savoirs, incluant ceux issus de la pratique, et qui reconnaît l’importance de leur enrichissement mutuel (Dancause, 2020).

Pour illustrer cette évolution des approches, nous retenons ici la définition proposée par l’organisation Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS), soit : « un processus menant à l’intégration de connaissances ou de procédés nouveaux dans la pratique des individus et des organisations ; il implique un croisement des savoirs des chercheurs et des praticiens, afin qu’ils s’enrichissent mutuellement » (Lexique de Passerelles, consulté en novembre 2021).

2.1.1.  La gestion des connaissances : gouvernance, pratiques et stratégies

La recherche sur le TC évolue en relation avec la recherche sur la gestion des connaissances au sein des organisations. Ces termes font parfois l’objet d’une certaine confusion et certain·es auteur·trices incluent le TC dans le domaine de la gestion des connaissances.

Dans les années 1950, une valeur économique et stratégique est attribuée aux connaissances mobilisées par une organisation. Le « capital de connaissances » est alors vu comme une richesse à exploiter et la valeur de ce capital peut augmenter grâce à une gestion adéquate (Grundstein, 2002). Une bonne gestion des connaissances permet d’éviter la perte de savoir-faire, de diminuer le risque d’erreurs, d’exploiter les expériences du passé et d’améliorer le développement des compétences.

La gestion des connaissances devient un domaine de recherche, évoluant rapidement en deux courants principaux: technocentré et anthropocentré. Les approches centrées sur les technologies, autrefois dominantes, sont aujourd’hui en perte de vitesse au profit d’approches centrées sur l’humain, car « elles valorisent l’interaction des activités humaines et des outils informatiques pour amplifier l’utilisation et la création de connaissances individuelles et collectives dans l’organisation » (Basque et Pudelko, 2004, p.23) et qu’elles prennent en considération la culture organisationnelle.

Foss (2006) estime que la gestion des connaissances doit être intimement reliée à la gouvernance des organisations. La littérature sur la gouvernance a d’ailleurs été influencée par deux approches basées sur la connaissance : la théorie des coûts de transaction (TCT) et la théorie du management par la connaissance (KBV).

Si Foss salue la prise en considération d’enjeux liés à la gestion des connaissances dans les recherches portant sur l’administration des affaires, il critique l’absence d’une réelle intégration entre les deux disciplines : « much of the relevant literature has been practice-driven and oriented towards prescriptions, and has had little or unclear disciplinary foundations » (Foss, 2006, p. 24). Il propose de conceptualiser une discipline distincte qui concilie les deux théories que sont la TCT et la KBV : l’approche de la gouvernance de la connaissance (knowledge governance approach). Les structures de gouvernance et les formes organisationnelles sont ainsi vues comme influençant directement les pratiques individuelles et donc les dynamiques de partage, d’intégration et de création des connaissances.

Pour Pudelko (2014), « les processus de création, utilisation et partage des connaissances y sont considérés comme variable dépendante, qui peut être manipulée par différents types de traitement appliqués dans l’organisation » (p. 6). Il devient alors important d’effectuer une distinction entre les pratiques de gestion des connaissances et les stratégies de gestion des connaissances, écrit-elle. Les pratiques de gestion de connaissances concernent les activités qui existent déjà dans l’organisation, de manière plus ou moins structurée et formalisée.

Les stratégies sont quant à elles des actions intentionnelles, combinant habituellement des dimensions individuelles et technologiques, et qui sont « le résultat d’une prise de conscience de l’importance de ces processus dans l’organisation et d’une décision explicite d’agir sur certaines composantes organisationnelles afin de transformer les pratiques existantes » (Pudelko, 2014, p. 7). On voit alors que la CdP, par exemple, peut être considérée comme une stratégie de gestion ou de transfert de connaissances.

2.1.2.  Les approches de TC

Lemire et coll. (2009) proposent de catégoriser les multiples cadres conceptuels du TC en trois grandes approches : l’approche linéaire ou unidirectionnelle, l’approche de résolution de problèmes et les approches interactives. Dans le premier cas, le savoir scientifique issu de la recherche est transféré à des utilisateur·trices potentiel·les (science-push). Cette approche est expérimentée et documentée depuis les années 1960 (Lacouture, 2016).

L’approche par résolution de problèmes est semblable en termes de processus, mais la science y joue un rôle plus utilitaire, visant à répondre à des besoins spécifiques (demand-pull). Quant à l’approche interactive, celle-ci se caractérise surtout par les allers-retours entre producteur·trices et utilisateur·trices des connaissances tout au long du processus de transfert des connaissances. Cette troisième approche est parfois nommée  « approche circulaire », puisqu’elle permet aux utilisateur·trices de devenir coproducteur·trices de la connaissance, tandis que les interactions en jeu permettent de « redéfinir, préciser, bonifier le projet au fur et à mesure qu’il avance » (Lemire et col., 2009, p. 14).

2.1.3.  Les effets du TC

Selon l’équipe RENARD (formation en ligne sur le TC, 2020), et contrairement à ce qui est souvent suggéré dans la littérature, il reste encore difficile de démontrer l’efficacité des approches interactives, recourant à des stratégies telles que la CdP, bien qu’on souligne qu’elles semblent prometteuses.

Cette situation a été attribuée aux difficultés d’identifier les effets spécifiques de cette approche, étant donné qu’elle est généralement utilisée de manière complémentaire à d’autres interventions. Pour mieux cerner l’efficacité de chacune de ces stratégies, il serait pertinent de comprendre comment elles se combinent et s’influencent mutuellement, ajoute l’équipe RENARD.

Gervais, Souffez et Ziam (2016) constatent également qu’il est difficile d’évaluer les retombées du TC. Elles estiment que les effets à court, moyen et long terme sont multiples, diversifiés et qu’ils peuvent concerner les individus, les organisations ou être d’ordre sociopolitique. Pour les évaluer, ajoutent-elles, il importe de prendre en considération les conditions de mise en œuvre et les facteurs externes.

Marion et Houlfort (2015) estiment que si des progrès ont été réalisés pour mieux comprendre les mécanismes en œuvre, davantage d’études doivent être menées, notamment pour identifier les variables les plus déterminantes ainsi que pour comprendre comment le contexte peut influencer les résultats. Dagenais (2017) en donne un bon exemple lorsqu’il affirme que des secteurs comme l’éducation et la santé seraient plus actifs en TC puisqu’on y retrouve « des canaux de diffusion clairs, définis et efficaces » (p. 5).

2.1.4. Les expérimentations récentes

La pratique du transfert de connaissances s’est transformée au Québec au cours des dernières années, notamment à travers l’émergence d’une tendance pour le croisement de divers types de savoirs. Selon Dancause (2020), l’évolution même des termes utilisés pour définir le TC et les pratiques reliées manifeste

« une volonté de reconsidérer la hiérarchie qui avait caractérisé les projets de recherche partenariale développés précédemment et qui faisait de la connaissance scientifique un savoir supérieur aux autres formes de savoirs (pratiques, expérientiels et culturels). » (Dancause, 2020, p. 11)

Cet auteur, qui a étudié l’évolution de la pratique de TC au Québec dans les dix dernières années, remarque un recours plus fréquent à la notion de co-construction des connaissances, un plus grand nombre d’initiatives qui s’appuient sur une expérimentation méthodologique ainsi qu’une préoccupation plus marquée pour l’instauration de relations égalitaires entre les parties prenantes. Il constate également que des acteur·trices impliqué·es dans le TC sont toujours plus nombreux·ses et issus·e d’une variété grandissante de secteurs.

Différentes organisations s’appuient aujourd’hui sur des principes de co-construction, dont le TIESS, qui considère que la liaison entre des acteur·trices concernés est au cœur du processus. Ceci nécessite la création d’espaces de collaboration :

« il ne suffit pas de faire des recherches, même en partenariat, il faut instituer de façon durable des espaces de collaboration où des personnes issues des milieux de la recherche et des milieux de la pratique terrain peuvent partager leurs expériences et leurs connaissances et travailler ensemble pour accélérer l’apprentissage des organisations et des individus qui y œuvrent » (Bussières et col., 2018, p.13).

Le TC est alors considéré davantage comme un processus qu’un résultat. Il s’inscrit dans un nouvel imaginaire et devient « une condition porteuse pour assurer aux collectivités une plus grande capacité́ dans la prise en charge de leur développement » (idem, p. 83).

L’approche interactive, ou circulaire, est particulièrement importante dans un contexte d’innovation sociale, selon ce collectif d’auteur·trices. La captation des apprentissages découlant des innovations sociales est considérée comme susceptible de favoriser leur diffusion (adoption et adaptation) et leur institutionnalisation.

Ils estiment que l’importante littérature scientifique traitant de la diffusion des innovations s’applique essentiellement aux innovations technologiques. Les modèles et les résultats de la recherche dans le contexte des innovations technologiques sont difficilement applicables aux innovations sociales, puisque celles-ci « proviennent en grande partie des acteurs du terrain qui tentent de trouver des solutions à des situations problématiques ou à des blocages institutionnels » (Bussières et col., 2018, p. 92). Il importe par conséquent de prendre en considération les relations étroites des connaissances avec le contexte, avec les modalités d’innovation et avec les personnes impliquées.

Une des conditions est alors la création d’espaces de mise en relation sur le long terme qui doivent être animés, où un climat de confiance doit s’installer et où « se construit le premier transfert : un transfert de sens, de compréhension et de perspective » (idem, p. 97).

La CdP peut devenir un tel espace de collaboration au service d’une approche interactive de TC. La CdP comme stratégie de TC est mentionnée dans un nombre grandissant d’articles, « ce qui surprend peu compte tenu de la popularité confirmée (des CdP) », selon Dancause (2020, p. 33).

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Intégré par Joël Nadeau, le 5 décembre 2023 16:29
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5 décembre 2023

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6 décembre 2023 17:44

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