2.2.5.5. Des coopérations entre les communautés de pratique | Mémoire sur les communautés de pratique / cadre théorique

ℹ️ Contexte 
Cette note fait partie du carnet "La communauté de pratique comme stratégie de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale", un mémoire qui propose un regard critique sur le déploiement de la démarche Passerelles 1 (2018-2022) et qui vise à identifier les conditions de succès et les facteurs à considérer pour ce type particulier de communautés de pratique (CdP).
Table des matières | Résumé | Références

Nous faisons tous partie de plusieurs CdP, formelles ou non, consciemment ou non, comme membre ou en périphérie, nous dit Wenger (2005). Ainsi, nous développons ce qu’il nomme des appartenances multiples.

Les communautés ont des frontières, mais elles ont aussi des liens avec l’extérieur. Ces liens se créent avec l’environnement ainsi qu’avec d’autres groupes, puisque les CdP s’entrecroisent, précise Wenger (2005). Les liens entre CdP sont alimentés par les individus, naviguant d’un espace à l’autre, ainsi que par les productions (réification) qui peuvent se promener, voire appartenir à plus d’un groupe.

Objets frontières 

Wenger utilise le terme « objets frontières » (boundary object) pour désigner ces artéfacts partagés, un concept déjà existant dans la littérature (Star et Griesemer, 1989). Ces objets frontières soulèvent des défis, notamment de coordination, de traduction et « d’alignement des perspectives » (p. 121).

Pour que ces objets facilitent la création de passerelles entre communautés, Hildreth et Kimble (2002) estiment qu’ils doivent être assez robustes pour voyager et assez souples pour permettre une interprétation locale dans un contexte différent. Si les artéfacts contiennent des connaissances, Hildreth et Kimble soulignent cependant que d’autres connaissances (des connaissances molles, ou tacites) sont nécessaires pour les comprendre et les utiliser : « knowledge taken out of context is just noise » (paragr. 61). De plus, ajoutent-ils, la connaissance tacite peut difficilement voyager dans des objets frontières.

Création de liens

Wenger (2005) estime que la création de liens et de sens entre CdP constitue un rôle en soi. Ce rôle exige des compétences et un minimum de légitimité et demande donc « d’éviter d’être un membre à part entière ou d’être rejeté comme un intrus » (p. 121). Si les objets et les individus peuvent contribuer à tisser des liens, la complémentarité entre les deux donne davantage de chance de créer des ponts forts, ce que Wenger appelle des « artéfacts accompagnés » (idem, p. 123).

C’est également ce que constatent Hildreth et Kimble (2002), pour qui les interactions directes avec une communauté permettent d’apprendre, de créer de nouvelles idées, de susciter la participation et de construire « une négociation de sens plus fructueuse » (traduction libre, paragr. 65).

Comme évoqué plus haut, les membres qui se retrouvent dans une position de participation légitime périphérique peuvent contribuer à tisser ces liens entre les CdP. Parot (2004) croit d’ailleurs que le fait de repérer et d’intégrer des membres capables de faire l’interface avec d’autres réseaux contribue à la vitalité des CdP concernées.

Rencontres et connexions

Les rencontres entre les CdP peuvent être de différente nature, Wenger (2005). Les rencontres de personne à personne montrent leurs limites, en raison d’une connaissance partielle des pratiques respectives. L’immersion ou la visite est plus riche, mais elle reste une opération à sens unique. Les délégations ou les rencontres de groupes sont quant à elles plus riches, elles permettent une meilleure compréhension des dynamiques réciproques et elles amènent des possibilités de négociation de sens.

Ces rencontres sont de courte durée, mais des liens peuvent également être intégrés de manière plus formelle et durable aux activités : « maintenir les connexions devient (alors) une partie de l’entreprise » (p. 126). Wenger identifie trois types de connexion qui permettent ainsi d’atteindre l’équilibre recherché entre le local et le global : les pratiques frontières, le chevauchement et les périphéries.

Figure 13 - Recontres entre CdP — inspiré de Wenger (2005)
  • Les pratiques frontières, une forme de « courtage collectif » sur une longue période, se présentent sous la forme de rencontres régulières ou d’équipes de travail. Elles permettent d’identifier les conflits et de mettre en lumière les collaborations potentielles, voire de mener à la création d’une nouvelle CdP.
  • Le chevauchement, une deuxième forme de connexion, met en scène un partage d’apprentissages et des collaborations continues et soutenues, alors que les CdP concernées conservent une identité propre.
  • Finalement, les échanges peuvent se créer à travers les périphéries des communautés, soit les zones où l’on retrouve des participant·es qui ont un niveau d’engagement moindre dans la CdP tout en en faisant partie. Pour Wenger, ces zones plus perméables offrent des occasions d’apprentissage et peuvent même générer des changements dans la pratique : « La pratique se développe alors au fur et à mesure que la communauté renégocie les relations entre son centre et sa périphérie » (p. 130).

Constellations et interstices

À travers ces connexions, des constellations de CdP peuvent émerger, selon Wenger (2005). Les CdP développent alors entre elles « une certaine cohérence » (p. 142), voire des narrations communes : « les éléments de discours évoluent à travers les frontières et se conjuguent pour constituer des discours plus généraux » (idem).

Les appartenances multiples et les relations entre les CdP enrichissent les dynamiques de collaboration. La mise en perspective de points de vue, des expériences, des pratiques et des identités qui en découlent viennent stimuler l’apprentissage, l’approfondissement des connaissances et l’innovation. Ceci génère, selon Wenger, « la création de sens nouveaux » (p. 178).

Pour Probst et Borzillo (2007), la « forte perméabilité » des CdP constitue un atout pour « acquérir de nouvelles perspectives générales sur un des thèmes de la CdP, et accroître l’étendue de la CdP en dehors des frontières organisationnelles et pour accéder à du savoir plus spécialisé » (paragr. 38).

Wenger, McDermott et Snyder (2002) estiment qu’une perspective extérieure peut amener un groupe à préciser sa propre identité, à réviser ses objectifs, à identifier de nouvelles manières de fonctionner ainsi qu’à mettre en lumière des enjeux et des occasions pour la communauté qui s’avèrent autrement difficiles à identifier et à dévoiler.

Demers et Tremblay (2020), inspirés par Swan, Scarbrough et Robertson, estiment que l’innovation radicale aura davantage de chance d’émerger dans les interstices entre deux communautés. Selon les auteurs, les CdP contribuent à générer des innovations graduelles et à diffuser des connaissances qui pourront stimuler des innovations à l’extérieur de la communauté. C’est cependant dans les échanges entre communautés que sont susceptibles d’émerger des modifications en profondeur dans les pratiques.

Suite : 2.2.5.6. Une évaluation au service de l’évolution | Mémoire sur les communautés de pratique / cadre théorique

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Intégré par Joël Nadeau, le 5 décembre 2023 17:19
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5 décembre 2023

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6 décembre 2023 17:42

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