2.2.5.4. Une animation soutenue | Mémoire sur les communautés de pratique / cadre théorique

ℹ️ Contexte 
Cette note fait partie du carnet "La communauté de pratique comme stratégie de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale", un mémoire qui propose un regard critique sur le déploiement de la démarche Passerelles 1 (2018-2022) et qui vise à identifier les conditions de succès et les facteurs à considérer pour ce type particulier de communautés de pratique (CdP).
Table des matières | Résumé | Références

Wenger (2005) utilise des analogies avec la botanique pour illustrer l’importance de cultiver les CdP, que développent à leur tour Paré et Francoeur (2020) : il faut favoriser l’épanouissement d’une CdP « à l’image d’une plante pour laquelle tirer sur les feuilles n’augmente pas la vitesse de croissance » (p. 7). Ce travail est en large partie lié à l’animation, qui est probablement le facteur de succès le plus souvent identifié dans la littérature scientifique portant sur les CdP.

Certain·es auteur·trices estiment même qu’il s’agit d’une condition incontournable (Boisvert, 2013 ; Tremblay, 2005), voire « la seule pratique de gestion qui soit significativement associée à tous les indicateurs de succès des communautés » (CEFRIO, 2005, p. 41).

On ne retrouve pas d’unanimité dans la littérature quant aux bonnes pratiques d’animation. Les définitions de ce rôle et des tâches qui y sont liées sont nombreuses, tout comme les propositions quant à la posture et aux stratégies à adopter. De plus, il existe une riche littérature concernant l’animation dans d’autres contextes, tels que la formation, le transfert de connaissances et la collaboration au sein d’équipe de travail.

Cette section propose donc un bref tour d’horizon concernant un sujet qui mériterait un approfondissement plus détaillé, en s’inspirant notamment de constats et techniques issues de domaines connexes d’intervention.

Porteur·euse

La fonction est généralement exercée par un seul individu. Elle peut néanmoins être portée par plusieurs personnes, malgré les défis de coordination et de continuité que cela entraine ainsi que les risques de confusion (CEFRIO, 2005).

Parot (2004) croit qu’il est préférable de partager les rôles et d’éviter qu’ils soient concentrés dans les mains d’une seule personne. L’autrice parle alors « d’animation collective » (p. 44). Une communauté qui a atteint une maturité pourra plus facilement répartir les rôles liés à l’animation auprès de plusieurs personnes, observe le CEFRIO.

Paré et Francoeur (2020) remarquent que certaines communautés deviennent fragiles avec le temps si elles sont trop dépendantes de l’animateur·trice. À l’inverse, des changements trop fréquents sont susceptibles d’affaiblir la CdP, observe Tremblay (2003). Pour éviter que le groupe soit moins vulnérable à ces changements, il est préférable de favoriser l’appropriation de la CdP par ses membres (Bourthis et Tremblay, 2004).

Tâches

Plusieurs tâches sont attribuées aux personnes responsables de l’animation dans un contexte de CdP. En voici une liste, inspirée de différent·es auteur·trices (Association québécoise des CPE, 2008 ; Boisvert, 2013 ; Bourtis et Tremblay, 2004 ; Cappe, Chanal et Rommeveaux, 2010 ; CEFRIO, 2005 ; OEDC, 2013 ; Paros, 2004 ; Probst et Borzillo, 2007 ; Tremblay 2003). Notons que selon les contextes et en fonction de la conception des CdP, des tâches pourraient être plus importantes que d’autres, certaines pourraient être absentes et d’autres pourraient s’ajouter pour répondre à des besoins spécifiques.

  • Contribuer à la conception de la démarche ;
  • attirer de nouveaux membres et faciliter leur accueil ;
  • stimuler la motivation et l’engagement ;
  • créer des liens entre les membres, générer de la cohésion et de l’appartenance ;
  • maintenir d’un bon climat, générer de la confiance, apaiser les tensions ;
  • soutenir et rassurer les membres ;
  • reconnaître et mobiliser les forces des membres ;
  • favoriser la participation des membres moins actifs ;
  • coordonner la planification et la réalisation d’activités et de production ;
  • maintenir un rythme et un niveau d’activité ;
  • stimuler et animer les échanges ;
  • réaliser des activités de veille sur des thèmes liés au mandat ;
  • effectuer des synthèses ;
  • assurer la gestion et l’organisation des contenus partagés ;
  • contribuer à la construction de sens et à l’émergence de compréhensions communes ;
  • maintenir une vigie sur les besoins et attentes des membres ;
  • évaluer la vitalité de la CdP et s’assurer que la CdP évolue dans la bonne direction ;
  • documenter la CdP ;
  • assurer la reconnaissance de la CdP ;
  • développer des relations avec d’autres CdP.

Posture

Assumer la responsabilité de l’animation, c’est également adopter une posture. Dans le cadre d’une CdP, on parle davantage d’une fonction de soutien axée sur les processus d’apprentissage que d’une fonction hiérarchique et basée sur l’expertise : « Healthy communities pay deference to knowledge, not authority », écrit McDermott (2007, p. 19). La personne qui remplit la fonction d’animation, nous dit le CEFRIO (2005), ne se met pas elle-même en scène. Elle agit plutôt comme metteur·euse en scène, qui s’assure que chaque intervenant·e prend la place qui lui revient.

L’Association québécoise des CPE (2008) croit que l’animateur·trice ne doit pas diriger la communauté, mais plutôt lui laisser une autonomie. L’organisation propose d’adopter une position de facilitateur·trice. Plutôt que d’être centré·e sur les contenus et les solutions, d’injecter de l’expertise et de proposer des hypothèses, un·e facilitateur·trice est centré·e sur les processus, les personnes, la création, la réflexion et le développement. Elle ou il valorise les talents, les connaissances et l’expertise des membres.

En valorisant ainsi le groupe, cette posture est potentiellement plus légère à porter, selon le CEFRIO (2005) : « On constate qu’avec le temps, l’animation en mode « facilitateur » devient plus facile et demande moins de préparation » (p. 17).

Pour y parvenir, l’Association québécoise des CPE (2008) conseille de porter une attention particulière aux processus, d’adopter une attitude de non-jugement et d’ouverture, d’instaurer un climat de confiance et de respect mutuel, de partager les responsabilités de l’animation et d’être patient·e.

Inspiré de Grice, le CEFRIO (2005) apporte d’autres conseils quant à la posture à adopter : admettre que l’on ne sait pas tout, éviter les ambigüités, ne pas utiliser une position hiérarchique pour influencer la conversation, ne pas sauter aux conclusions pendant que la discussion est toujours vivante, rester bref pour laisser la place aux idées du groupe et encourager les membres à oser (p. 78).

Responsabilités

Un·e bon·ne animateur·trice assume une position de leadership soutenu, tant en scène qu’en coulisse, selon le CEFRIO (2005). Ce doit être un membre reconnu ainsi que respecté par la communauté, continue l’organisation, et qui possède diverses qualités. Elle ou il excelle dans les relations interpersonnelles et fait preuve d’empathie, d’écoute, d’humour, de dynamisme, etc.

Pour remplir adéquatement les rôles qui incombent à l’animateur·trice, le travail s’effectue à travers un certain nombre d’interventions modulées en fonction des besoins de l’instant. Ces interventions sont parfois simples et spontanées, mais elles sont néanmoins utiles au bon fonctionnement du groupe. Une diversité de gestes peuvent être posés :

  • amener un membre à préciser le sens d’une question ou d’une intervention, s’assurer que tous les membres ont les informations nécessaires pour comprendre une intervention (vocabulaire, acronyme, contexte, etc.),
  • mettre en place des conditions pour susciter la participation sur un sujet précis,
  • aller chercher un membre moins actif, mais dont on sait qu’elle ou il pourrait contribuer à la discussion,
  • mettre en place les conditions favorisant le débat d’idées,
  • rassurer les membres (sur leurs compétences à utiliser les outils, sur leur capacité à collaborer, etc.),
  • contacter individuellement un membre pour préciser ses émotions ou son niveau de motivation, etc. (CEFRIO, 2005)

Cappe, Chanal et Rommeveaux (2010, p. 14) suggèrent de poser des gestes favorisant :

  • le décadrage, pour amener un recul par rapport au quotidien,
  • la connaissance mutuelle, soit faire connaissance à travers des échanges formels et informels,
  • et l’entraide mutuelle, à travers des travaux de groupe entre les grandes rencontres pour maintenir la collaboration, par exemple.

L’Association québécoise des CPE (2008) propose quant à elle de miser sur :

  • le recadrage, la reformulation,
  • la transparence,
  • la rétroaction,
  • la synthèse,
  • et l’approfondissement.

Susciter la participation

Comme évoqué lors de la présentation du concept de participation, Wenger, McDermott et Snyder (2002) proposent de permettre la cohabitation de divers niveaux de participation. Chacune de ces intensités d’implication contribue à la vitalité de la communauté. L’animation doit prendre en considération et respecter cette variabilité dans l’engagement. Cependant, croient les auteurs, il est particulièrement important d’alimenter le noyau de membres plus actifs : « successful communities build a fire in the center of the community that will draw people to its heat » (paragr. 18).  

Bourdat (2017) estime qu’il ne faut pas imposer de règles trop strictes relativement à la participation. Par exemple, exiger aux membres un minimum de contributions sur une période donnée est susceptible de nuire à la spontanéité.

La participation peut aussi varier au fil du temps, parfois en raison d’événements extérieurs hors du contrôle des membres. Pour Bourhis et Tremblay (2004), la présence de moments « moins prolifiques » ne représente pas un problème. Lors de ces moments, il est d’ailleurs possible que se mettent en place « les éléments indispensables à la création ultérieure » (p. 38).

Définir le rythme

Un·e animateur·trice doit contribuer à la mise en place d’un rythme dans les activités de la communauté, à l’image du rythme de nos activités quotidiennes, ce qui constitue d’ailleurs l’une de conditions de succès évoquées en début de partie. Le rythme doit être assez vivant pour maintenir l’intérêt et éviter que le groupe ne devienne paresseux, tout en n’étant pas plus exigeant que le temps et l’énergie que les membres peuvent consacrer (CEFRIO, 2005 ; Wenger, McDermott et Snyder, 2002).

Il n’existe pas de rythme idéal et celui-ci évolue, mais le fait de trouver le rythme idéal pour chaque étape de développement est une clé de la vitalité des communautés, croient Wenger, McDermott et Snyder (2002).

Bourdat (2017) propose de créer la surprise pour renouveler l’intérêt. Wenger, McDermott et Snyder (2002) estiment essentielle cette idée de combiner la familiarité, soit des activités de routine qui amènent de la stabilité et l’excitation, soit des événements passionnants qui amènent une dynamique commune d’aventure.

Le CEFRIO (2005) propose d’alterner entre des rencontres avec l’ensemble des membres et des rencontres en plus petits groupes ; entre des événements spéciaux et des réunions ordinaires ; entre la réflexion et les projets ; etc. « Tout cela vient ponctuer et raffermir la vie de la communauté » (p. 71).

Encourager la documentation

L’animateur·trice devrait encourager les membres à documenter et partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques dans un répertoire commun (Probst et Borzillo, 2007). Bourthis et Tremblay (2004) invitent à porter attention aux obstacles qui pourraient nuire à la constitution et l’actualisation d’un tel répertoire. Des réticences de la part des membres peuvent être présentes et elles peuvent provenir de sources variées.

À titre d’exemple, un membre qui partage ses réflexions et méthodes s’ouvre ainsi à la critique des autres, peut craindre de ne pas être reconnu pour cette contribution ou encore peut craindre que ses connaissances ne soient pas utilisées adéquatement. Le doute de ne pas trouver à son tour des ressources qui répondraient à ses propres besoins pourrait aussi nuire à sa participation, selon Bourthis et Tremblay (idem).

Des inquiétudes peuvent être liées à des questions de propriété intellectuelle, dont les modalités devraient être clairement identifiées dans la charte de la CdP. Le fait d’établir des règles claires, discutées et respectées entourant la propriété intellectuelle peut aider certains membres à passer outre leurs craintes de voir leur travail usurper, d’autant plus que « réutiliser ne veut pas dire usurper la contribution intellectuelle de l’autre » rappelle le CEFRIO (2005, p.80).

Favoriser la co-construction

La co-construction impliquerait la mise en place d’une « communication conflictuelle » selon Aspord et Dacheux (2013), qui réfléchissent sur le transfert en recherche. Ils font le constat de l’impossibilité d’une compréhension totale, alors que chaque partie interprète librement en fonction de références culturelles différentes. Il importe de mettre en place des espaces de discussion, de confrontation d’idées et de négociation de sens, permettant de « créer du commun avec du différent » (p. 90).

Un·e animateur·trice doit encourager la confrontation des idées, les débats et les controverses, puisque cela contribue à la vitalité et l’efficacité des CdP, mais cela peut également amener à des transformations ou une dissolution du groupe, préviennent Demers et Tremblay (2020).

Tremblay (2006) met en garde contre des comportements individuels ou de sous-groupes qui pourraient nuire au climat de la CdP et auxquels l’animateur·trice devrait porter une attention particulière. L’autrice donne comme exemple les comportements narcissiques, tels que l’impression de tout savoir, les factions ou cliques qui peuvent se former au sein du groupe ainsi que les relations de pouvoir et les jeux politiques. Ainsi l’animateur·trice doit veiller au respect des normes et des règles fixées par le groupe.

Recevoir du soutien

Le CEFRIO (2005) constate à travers quelques cas étudiés que l’appui d’un·e coach aux personnes responsables de l’animation est très utile et apprécié, notamment pour celles ayant moins d’expérience. « Les animateurs indiquent avoir beaucoup bénéficié de la formation dans l’action et du feedback d’une personne neutre » (p. 83). Le simple fait de discuter avec une personne extérieure au groupe peut permettre de porter un éclairage nouveau sur les dynamiques qui s’y déploient.

Cet aspect est peu documenté dans la littérature sur les CdP, alors qu’il est ici présenté comme étant une piste intéressante à explorer pour soutenir le travail crucial d’animation.

Suite : 2.2.5.5. Des coopérations entre les communautés de pratique | Mémoire sur les communautés de pratique / cadre théorique

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Intégré par Joël Nadeau, le 5 décembre 2023 17:15
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5 décembre 2023

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6 décembre 2023 17:42

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