2.2.5.1. Une conception évolutive et propice à l’apprentissage | Mémoire sur les communautés de pratique / cadre théorique

ℹ️ Contexte 
Cette note fait partie du carnet "La communauté de pratique comme stratégie de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale", un mémoire qui propose un regard critique sur le déploiement de la démarche Passerelles 1 (2018-2022) et qui vise à identifier les conditions de succès et les facteurs à considérer pour ce type particulier de communautés de pratique (CdP).
Table des matières | Résumé | Références

« L’apprentissage survient avec ou sans design », affirme Wenger (2005, p. 245). Cependant, précise-t-il, le « design d’une infrastructure sociale » est essentiel pour stimuler adéquatement cet apprentissage.

La nature de la CdP, son contexte d’implantation ainsi que sa conception auraient un impact important à la fois sur leur développement et leur durée de vie (Bourhis et Tremblay, 2004 ; Dubé, Bourhis et Jacob, 2006). Le design permet par ailleurs de prendre en considération la culture de l’organisation (CEFRIO, 2005) ainsi que les possibles « entraves structurelles et culturelles » (Gravel, 2010, p. 169).

Des efforts de conception devraient être consacrés pour le déploiement des CdP intentionnelles (ou commandées), mais également des CdP spontanées, selon Wenger, McDermott et Snyder, même si cela soulève un certain défi dans un contexte autogéré et autonome : « Even though communities are voluntary and organic, good community design can invite, even evoke, aliveness » (paragr. 1).

Des jeux d’équilibre dans la conception

Quatre dimensions fondamentales dans le design initial d’une CdP sont identifiées par Wenger (2005). Il s’agit d’abord de trouver un équilibre entre la participation et la réification, comme précédemment évoqué. Un équilibre doit ensuite être trouvé entre le conçu et l’émergeant. Il est important de construire des bases claires et partagées, mais également malléables, permettant de mieux intégrer l’imprévisible, facilitant ainsi l’innovation et la renégociation de sens.

Un troisième équilibre doit être trouvé entre le local et le global, puisque les CdP se définissent de l’intérieur, mais également en relation avec les autres : « aucune communauté ne peut faire le design d’apprentissage d’une autre ; et simultanément, aucune communauté ne peut réaliser totalement son propre design d’apprentissage » (idem, p. 255). Wenger propose finalement de trouver un équilibre entre l’identification et la négociabilité, orientant les dynamiques et permettant des formes variées de participation.

Paré et Francoeur (2020) insistent sur le premier jeu d’équilibre mentionné, entre la participation et la réification. Il s’agit d’éviter le « documentarisme », soit « une information abondante, mais difficilement accessible dans l’action » (p. 12), au détriment des échanges. À l’inverse, disent les auteurs, une concentration trop forte sur la pratique amène « l’amnésie, du dogmatisme et de la médiocrité́ » (idem).

Ce problème d’accès à l’information ou de surabondance est susceptible de nuire à l’identification et la négociabilité, selon Wenger (2005). L’équilibre à trouver permet aussi une certaine continuité des significations, selon Demers et Tremblay (2020). Pour eux, si la participation domine, il est risqué de ne pas posséder suffisamment de références communes pour négocier le sens. À l’inverse, si c’est la réification qui domine, « il peut manquer d’occasions de régénérer les significations en fonction des situations concrètes » (p. 11).

Définition du domaine

La définition du domaine couvert est cruciale dans le design des CdP, selon Paré et Francoeur (2020), puisque les liens entre les membres sont maintenus par « l’intérêt passionné » qu’ils partagent. S’inspirant de McDermott et Wenger, ces auteurs précisent que les sources de cet intérêt sont diversifiées, telles que

« la résolution de problème, la recherche d’information, la recherche d’expérience, la réutilisation d’actifs, la coordination et la synergie, la discussion au sujet du développement, la documentation d’un projet, les visites, l’état des connaissances (mapping knowledge) et l’identification des lacunes. » (p. 5)

McDermott (2007) constate que des buts, des objectifs et des projets communs dynamisent le groupe et peuvent générer des interactions plus approfondies. Wenger (2005) recommande également de bien préciser le domaine et ses contours en fonction d’un positionnement à travers des « constellations de pratiques interreliées » (p. 141). Le domaine peut évoluer au fil de la vie de la CdP, mais un élargissement trop important est susceptible d’affaiblir l’intérêt de certains membres, notent Davel et Tremblay (2020).

Le CEFRIO (2005) présente aussi le choix de la thématique comme une question fondamentale dans la conception des CdP. L’organisation identifie certaines qualités d’une thématique appropriée : elle doit être assez large pour interpeler une masse d’individus, assez circonscrite pour atteindre des résultats concrets, importante pour l’organisation d’attache, passionnante pour les membres et elle doit permettre d’aborder des problèmes réels et courants (p. 35).

Composition et rôles

La démarche de conception concerne aussi la composition de la CdP. Le caractère ouvert ou fermé de la CdP aura nécessairement une influence sur la composition du groupe, qui sera alors accessible largement, en fonction de l’intérêt des futurs membres, ou restreinte à un certain type de personnes en fonction de critères spécifiques. Ces critères d’accessibilité seront entre autres liés au domaine couvert par la CdP.

Certain·es conseillent de mobiliser les gens en fonction de leur intérêt et de leurs compétences (Boisvert, 2013 ; CEFRIO, 2005). Le CEFRIO estime par ailleurs qu’il est préférable de recruter des volontaires plutôt que de choisir des participant·es.

Cappe, Chanal et Rommeveaux (2010) proposent de d’abord constituer le noyau du groupe et de choisir une personne responsable de l’animation. Ce noyau peut convenir d’une première ébauche du projet de CdP. L’identification des membres s’effectue dans une étape subséquente. Avec ceux-ci, le projet devrait être revalidé et précisé quant à son mode de fonctionnement, selon ces auteurs.

La quantité totale de membres ciblés est également à préciser (CEFRIO, 2005). S’il existe des CdP de toutes les tailles, ce choix aura une influence sur les dynamiques au sein du groupe. Le CEFRIO soulève à titre d’exemple des enjeux potentiels liés à une surcharge d’information s’il y a trop d’individus. Cependant, la valeur créée par une CdP ne dépend pas de sa taille, puisque « c’est la composition du groupe, l’intérêt de la thématique et la qualité de l’animation qui font la différence » (p. 36).

Le fait que les membres se connaissent préalablement ou non n’a pas non plus d’influence sur les résultats, selon les observations du CEFRIO. L’organisation constate cependant une certaine ambigüité dans la littérature à propos de la diversité, aussi nommée hétérogénéité : si elle peut stimuler les échanges, davantage de travail peut être nécessaire pour établir un climat de confiance.

Divers rôles peuvent être attribués au sein d’une CdP. La plupart des auteur·trices se limiteront à discuter des rôles liés à l’animation, qui peut être portée par plusieurs individus. Le CEFRIO (2005) insiste cependant sur la définition et l’attribution d’autres rôles au sein de la CdP, mentionnant qu’une personne peut jouer plusieurs rôles et qu’à l’inverse plusieurs personnes peuvent partager un même rôle.

L’organisation en identifie onze : marraine ou parrain, animateur·trice, facilitateur·trice, expert·e en contenu, animateur·trice de contenu, mentor·e, administrateur·trice, fondateur·trice, rapporteur·trice, membre participant·e et technicien·ne. La marraine ou le parrain sera en particulier déterminant·e dans certains contextes, facilitant la liaison avec l’administration d’une organisation, contribuant à la légitimité de la communauté et permettant d’aplanir « les difficultés d’ordre politique » (p. 39).

Rédaction d’une charte

Certain·es conseillent de consigner les éléments fondateurs d’une CdP dans une charte, soit un document officiel, rédigé collectivement et adopté formellement par les membres (Association québécoise des CPE, 2008 ; CEFRIO, 2005 ; OEDC, 2013 ; Paros, 2004). Une telle charte serait essentielle au fonctionnement du groupe et elle constituerait une source d’engagement.

Une charte devrait selon ces auteur·trices décrire la nature de la communauté, ses objectifs, le profil des membres et les conditions d’adhésion (libre, coopté, en fonction de la pratique, etc.), les rôles des participant·es ainsi que les rôles de la personne responsable de l’animation.

D’autres aspects complémentaires peuvent y figurer, tels que le domaine d’intérêt, les thèmes traités, les activités prévues, les valeurs privilégiées, les ressources à partager, le vocabulaire, les méthodes de classification, l’engagement des parties prenantes, la contribution attendue des membres, la durée de vie de la CdP, les règles entourant la propriété intellectuelle, les modalités de diffusion des productions ainsi que les questions relatives à la confidentialité.

Évolution de la communauté

Si la conception d’une CdP est une démarche qui devrait être effectuée avant l’amorce des activités du groupe, elle constitue également un processus évolutif. En effet, toutes les caractéristiques d’une CdP peuvent se préciser en cours de route et elles sont susceptibles de se transformer au fil du temps.

La définition et la personnalité de la CdP restent en tension et en négociation entre les membres, ce qui demande un regard critique sur la santé de la communauté ainsi que sur ses retombées réelles. C’est pourquoi plusieurs auteur·trices proposent de mener une démarche continue d’évaluation de la CdP, un sujet qui sera abordé plus loin.

La définition claire des contours d’une CdP n’est pas contradictoire avec son caractère évolutif. C’est ce que croient Wenger, McDermott et Snyder (2002), pour qui la nature dynamique des CdP est une clé : « Making design principles explicit makes it possible to be more flexible and improvisational » (paragr. 4). Ils évoquent par exemple des changements dans l’environnement ou l’arrivée de nouveaux membres, qui peuvent amener une communauté à se redéfinir à partir d’un cadre prédéfini.

Wenger (2005) suggère que l’évolution d’une CdP s’effectue à travers différentes phases, ou stades de développement, qui amènent chacune des enjeux distincts : de l’identification d’un potentiel, la CdP atteint une phase d’unification, puis de maturité, avant d’atteindre un momentum, où la communauté doit mettre en place des mécanismes pour assurer sa survie à long terme. La durée de chacune de ces étapes est très variable d’une communauté à l’autre.

Figure 12 - Phases d’évolution d’une CdP — inspiré de Wenger (2005)

Pour Wenger, chaque phase peut être traversée par des variations dans le dynamisme du groupe, voire des crises. Ultimement, la CdP peut être appelée à se transformer en profondeur, à fusionner avec une autre ou à voir ses membres se disperser vers d’autres groupes. Si cette schématisation des cycles de vie d’une CdP reste aujourd’hui une référence et qu’elle a souvent été reprise dans divers guides et documents, elle semble peu discutée, bonifiée par d’autres chercheur·es ou même validée par des études de cas s’intéressant à la question spécifique des phases de développement.  

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Intégré par Joël Nadeau, le 5 décembre 2023 17:07
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5 décembre 2023

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6 décembre 2023 17:42

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