Bio et santé, écolo et local ? Que recherchent les clients des marchés fermiers ?

« Êtes-vous en bio? » : ce serait l’une des plus fréquentes questions posées aux agriculteurs d’un réseau de marchés fermiers, selon ce que nous rapportions dans un récent bulletin. Bio, écolo, local : voilà trois attributs de produits qui ont le potentiel d’intéresser un consommateur qui s’approvisionne en circuits courts. Les chercheurs se posent depuis longtemps la question de savoir comment ces préoccupations se croisent dans la décision finale du consommateur. Ces attributs sont-ils équivalents ? L’un de nos tout premiers bulletins de veille mettait en lumière des résultats mitigés sur la préférence des consommateurs pour les circuits courts en matière d’approvisionnement en produits locaux ou bio. A l’opposé, on a souvent évoqué comment les interactions sociales permises par les circuits courts pouvaient compenser l’absence de certification bio en faisant reposer la qualité du produit sur la confiance et la relation de proximité.

L’article qui est présenté ici aborde la question des attributs valorisés par les clients des marchés fermiers à partir d’un échantillon de 676 consommateurs dans l’Utah, aux États-Unis. Le consentement à payer plus cher pour des attributs comme bio (certifié), écologique (sans certification bio, mais affichant des techniques réduisant l’usage des pesticides et favorisant la santé des sols) ou local ont été mesurés et modélisés en vue de dégager des profils typiques de consommation. Les résultats indiquent qu’il existe une clientèle pour tout ce qui est bio et santé, différente de celle qui se contente de produits non certifiés mais reconnus comme bénéfiques pour l’environnement et de préférence locaux.

Des profils différents

Dans le cadre de cette étude, les consommateurs ont été invités à acheter des pêches aux prix du marché, selon leurs préférences (ne rien acheter, acheter des pêches bio, écologiques ou conventionnelles). Ils ont ensuite été invités à remplir un questionnaire sur leurs motivations, leur style de vie et leur attitude vis-à-vis de tel ou tel attribut du produit. Deux séries de résultats sont particulièrement éclairants.

D’abord, il s’avère que 30% des participants ont préféré ne pas acheter de pêches. Les achats ont surtout concerné les pêches avec une mention écologique et les pêches certifiées bio. Lorsqu’on a demandé à ces participants pour quels attributs, parmi une liste, ils sont prêts à payer plus cher, les attributs ayant rencontré le plus de succès ont été, dans l’ordre : la provenance locale du produit, une production avec utilisation limitée de pesticides et un mode de production biologique. De plus, cette préférence pour ces attributs est, sans surprise, plus forte chez ceux qui ont acheté bio ou écologique que chez ceux qui ont acheté conventionnel. On souligne aussi que ces produits différenciés (bio, écologique) rencontrent plus d’intérêt parmi les femmes, ce qui est conforme aux résultats d’autres recherches. Et lorsqu’on a invité les acheteurs à partager leurs valeurs (comme le support à l’agriculture locale), leurs préoccupations (comme leur santé, la sûreté des aliments) et leurs habitudes de vie ou d’achat; celles et ceux qui ont acheté bio affichaient en moyenne les scores d’adhésion les plus élevés à ces valeurs de solidarité et de protection de l’environnement. Ces remarques sont importantes car plusieurs recherches montrent au contraire la possibilité d’un écart entre ce que les gens déclarent acheter et leur comportement réel. En l’occurrence, pour cette recherche, le comportement d’achat des acheteurs de produits bio ou écologiques est resté cohérent.

Mais la deuxième série d’analyses fournit des résultats encore plus intéressants. Les auteurs ont testé un modèle pour expliquer le consentement à payer pour des pêches « biologiques » ou « écologiques » par rapport aux pêches ordinaires. Les calculs indiquent que les participants sont prêts à payer un surplus allant jusqu’à 1,41 $ US la livre de pêches écologiques et jusqu’à 2,10 $ US pour la livre de pêches certifiées biologiques. Les pêches bio permettraient donc aux producteurs d’obtenir un surplus. Mais il existe aussi une frange de consommateurs (25%) plutôt indifférents au bio, les producteurs sont donc appelés à choisir stratégiquement quels attributs ils veulent offrir et mettre en avant et pour quelle clientèle.

Les auteurs terminent par une analyse segmentant les acheteurs en fonction de leur profil. Ils montrent qu’il existe un groupe d’acheteurs, préoccupés surtout par leur impact sur l’environnement et l’origine du produit, qui ne voient pas forcément de valeur ajoutée à acheter bio. En revanche, il y a aussi un profil d’acheteurs, qui s’intéresse au biologique. Ces derniers se distinguent par leur attention aux aspects nutritionnels et sanitaires de leur alimentation. Être du profil « écolo » pousse à se contenter d’un produit jugé écologique, même sans certification bio. Être du profil « bio » témoigne certes d’un attachement écologique, mais aussi d’une préoccupation plus forte pour une alimentation saine. Aussi, certains attributs, pris isolément, font une grande différence lorsqu’ils sont valorisés. Ainsi, l’impact positif du produit sur la biodiversité pousse à acheter bio plutôt que conventionnel, mais la préférence pour un produit local pousse à valoriser moins les pêches bio que les pêches conventionnelles et à se contenter d’un produit étiqueté écologique.

Les enseignements

Cet article met en exergue l’existence, du moins dans l’Utah, de plusieurs profils de consommateurs fréquentant les marchés fermiers et ces profils ne valorisent pas de la même façon certains attributs. Il témoigne, à l’instar d’autres recherches, que la préférence pour le bio renvoie d’abord à des motivations liées à la qualité nutritionnelle et la sécurité sanitaire des produits. Pour les auteurs, ce résultat rend compte de la nécessité pour les producteurs de bien connaitre leur clientèle et d’adapter leurs stratégies de marketing en fonction de ses préoccupations. Par exemple, un producteur bio dans un marché fermier devrait mettre plus d’accent sur les avantages « santé » de ses produits plutôt que sur leur aspect écologique. Ces résultats résonnent aussi avec d’autres recherches qui montrent que pour les pratiques bénéfiques pour l’environnement, les interactions entre producteurs et consommateurs peuvent amplement suffire à créer la confiance nécessaire. On notera pour notre part ce paradoxe déjà souvent identifié : les recherches restent encore très partagées sur les impacts positifs de la consommation de produits biologiques sur la santé, alors que les recherches montrant les impacts positifs de l’agriculture biologique sur l’environnement sont nombreuses et moins contestées.

pdf N°14, fiche n°2 - décembre 2020 - janvier 2021

Fiche n°2, Bulletin n°14 – décembre 2020 – janvier 2021
Rédaction: Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.

note Note(s) liée(s)

padding Carnet(s) relié(s)

file_copy 183 notes
Bulletin de veille bibliographique sur l’agriculture de proximité
file_copy 183 notes
person
Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 19 octobre 2023 13:44
category
Circuit court, Environnement, Biologique, Fiche

Auteur·trice(s) de note

forumContacter l’auteur·trice forumDiscuter de la note

Publication

1 décembre 2020

Modification

10 novembre 2023 10:26

Historique des modifications

Visibilité

lock_open public