Production locale en période de crise: temps, lieu et agriculture verticale

Les chaines d’approvisionnement alimentaires ne s’attendaient pas à un choc comme la pandémie de COVID-19. Si la catastrophe initialement annoncée n’a pas eu lieu, la COVID-19 a mis à mal la mécanique bien huilée du système alimentaire globalisé et hautement capitalisé, notamment au niveau de la logistique et de la mobilité de la main-d’œuvre agricole. Mais les acteurs de ce système alimentaire n’ont pas tardé à s’adapter (une poignée de gros joueurs, comme Walmart, Amazon, etc., ont même vu leur situation économique s’améliorer considérablement au cours des deux dernières années).

Un effet de la pandémie a été de réactualiser l’intérêt pour une alimentation locale, souvent associée aux petites fermes de proximité. Pourtant, une transformation importante du système alimentaire reste encore peu abordée dans les médias : celle des investisseurs s’engageant massivement dans l’agriculture verticale. On estime que le taux de croissance annuel des investissements dans ce secteur jusqu’en 2026 sera de 14% pour des dépenses de plusieurs milliards de dollars. Pour ces acteurs, l’agriculture verticale est un moyen de bâtir un système alimentaire qui soit prêt pour la prochaine pandémie.

Sur la base d’entrevues qualitatives avec des cadres d’entreprises investies dans l’agriculture verticale, cet article analyse les implications de ce modèle sur le rapport au lieu (la provenance des produits), mais aussi le rapport au temps (la saisonnalité des produits). L’auteur souligne d’abord, que l’agriculture verticale impose un réexamen de ce que signifie vraiment une production locale. En quoi une ferme verticale dont presque la totalité des équipements provient de l’étranger serait-elle locale? La même question se pose à propos de la main d’œuvre nécessaire à ces entreprises qui s’installent beaucoup là où une main d’œuvre importée est disponible à faible coût. Ensuite, au cœur de l’agriculture verticale se trouve la proposition radicale de libérer l’alimentation du poids des saisons et de la temporalité propre à l’agriculture, ce qui la situe dans la même perspective que les chaînes mondialisées qui livraient en tout temps et en tous lieux des produits qui sont de nulle part et n’ont plus de saison. Ces fermes verticales, nous dit l’auteur, s’approprient l’attrait pour une nourriture venant de quelque part, mais cette nourriture reste intemporelle et les déséquilibres intrinsèques aux systèmes alimentaires mondialisés sont toujours présents. Ces observations amènent l’auteur à relativiser l’importance du « local » pour l’alimentation au profit d’autres considérations : la qualité nutritionnelle des aliments, les moyens d’existence, à l’accès pour tous à l’alimentation et le type de système alimentaire dans lequel nous nous engageons.

Les enseignements

Cet article introduit la question de la nature des fermes verticales et de leur place (leur légitimité) dans les systèmes alimentaires locaux. Il n’est pas sans rappeler des débats ayant entouré le développement de serres géantes au Québec. L’agriculture verticale présente des barrières à l’entrée considérables (du fait du coût des équipements au démarrage), elle reste hautement capitalisée et soumise aux pressions du marché, elle reste aussi totalement intégrée à un système globalisé par la finance, les équipements et la main d’œuvre. Cette agriculture introduit certes un autre rapport entre local, lieu et temps, mais cela reste sans doute insuffisant pour attester de sa capacité à transformer nos systèmes alimentaires.

pdf N°22, fiche n°2 – juillet – août 2022

Fiche n°2, Bulletin n°22 – juillet – août 2022
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Cette veille bibliographique vous est offerte par le groupe de recherche Agriculture, territoires et développement de l’Université Laval avec le soutien du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.