Circuits longs et circuits courts : une histoire de détachement ?

Contrairement à une vision excessivement simpliste du fonctionnement des marchés qui postule un ajustement spontané entre l’offre et la demande, plusieurs courants s’intéressent à tout ce qui, dans la pratique, entoure les échanges marchands : cela va des relations sociales à des dispositifs concrets, par exemple des cartes de fidélité. Les auteurs de cet article s’intéressent à tous ces éléments, considérés ici comme des « attachements », et aux processus qui permettent de s’en détacher. Plus précisément, ils explorent comment divers attachements freinent le déploiement des circuits courts dans le domaine de de la restauration collective en France (écoles, hôpitaux). En effet, dans le cas étudié, se détacher des modes de commercialisation concurrents est complexe pour des raisons qui dépassent largement la seule question du prix. Il y a des habitudes de prises, des dépendances créées, une praticité à laquelle on a pu s’habituer, … Pour que le consommateur puisse se détacher des intermédiaires ou de certaines pratiques usuelles dans les circuits longs, il faut que les circuits courts parviennent à réaliser ces détachements.

Les auteurs constatent qu’il ne suffit pas d’éliminer des intermédiaires pour qu’un marché local de la restauration collective fonctionne. Par exemple, les cantines scolaires ont des installations, des horaires, des normes en matière d’hygiène et de salubrité à respecter. La distribution conventionnelle, certes peu efficace pour fournir des produits locaux, est organisée pour répondre à ces exigences. Même si on tente d’éliminer ces intermédiaires, le travail de mise en cohérence entre les contraintes de l’offre et celles de la demande doit être assuré. Or, dans de nombreuses circonstances, cela est compliqué : les producteurs locaux peinent à respecter la chaine de froid, les recettes sont inadéquates pour les produits livrés directement par les agriculteurs, les infrastructures de cuisine sont mal adaptées pour traiter les produits reçus, les conditions d’appel d’offres sont inadaptées pour les producteurs locaux, etc. Bref, l’adaptation aux produits issus du marché local a un coût, tant pour les acheteurs que pour les vendeurs.

Dans ces circonstances, on voit en général apparaitre d’autres intermédiaires ou médiateurs. Ce peut être des objets (une plateforme collective), des personnes ou des organisations (une coopérative qui accompagne les producteurs et les institutions (écoles, hôpitaux…) et assure la conformité aux attentes formulées de part et d’autre). Quels que soient ces intermédiaires, tous participent au travail de médiation sans lequel le marché ne pourrait pas fonctionner correctement.

Les enseignements

Cet article vient rappeler à quel point le travail des intermédiaires dans les systèmes alimentaires ne se réduit pas à juste faire le pont entre une offre et une demande préexistantes. Ces derniers effectuent un important travail de mise en cohérence. Par leur intervention, ils transforment la nature même de l’offre et de la demande afin qu’elles se rencontrent. Pour que les circuits courts puissent se développer dans la restauration collective, ils doivent inventer de nouvelles formes de médiation. Or ce travail a un coût trop souvent négligé lorsque l’intermédiaire est juste vu comme prélevant une part (la plupart du temps considérée comme excessive) de la valeur ajoutée. Dans la pratique, ce coût et ce travail sont souvent assumés par les agriculteurs et les agricultrices, qui découvrent alors leur ampleur et reconnaissent y être mal préparés.

pdf N°20, fiche n°2 – mars – avril 2022

Fiche n°2, Bulletin n°20 – mars – avril 2022
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Cette veille bibliographique vous est offerte par le groupe de recherche Agriculture, territoires et développement de l’Université Laval avec le soutien du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.