La COVID-19 : un tournant dans la trajectoire des circuits courts alimentaires ? Comparaison entre 13 pays

Les premiers mois de la pandémie de COVID-19, au printemps 2020, ont fait peser beaucoup d’incertitude. Les mesures de confinement se sont renforcées et l’économie est passée au ralenti. Ce que nous appelons maintenant la première vague de COVID-19 a aussi fortement touché le secteur alimentaire. Avec la fermeture des restaurants et diverses tensions apparues dans les chaînes mondiales d’approvisionnement, certains agriculteurs ont dû trouver d’autres débouchés locaux et les consommateurs renouer avec une alimentation de proximité. Plusieurs recherches ont alors signalé des exemples de résilience et de réactivité des circuits courts dans ce contexte. Ce que cette recherche vient ajouter, c’est une perspective internationale en documentant diverses initiatives mises en branle dans les circuits courts au printemps 2020 à travers 13 pays (Argentine, Australie, Autriche, Canada, France, Hongrie, Italie, Japon, Luxembourg, Norvège, Corée du Sud, Espagne et RoyaumeUni). La loupe utilisée par les auteurs permet aussi de mettre l’accent sur la dimension sociale (solidarité, justice alimentaire) de la réponse apportée à la crise par les circuits courts. Pour dresser ce tableau, les auteurs ont interrogé plusieurs experts provenant de ces pays.

Le regard et l’appétit tournés vers les circuits courts

Les circuits courts restent souvent assimilés à des niches qui peinent à élargir et diversifier leur clientèle. La COVID-19 a eu pour effet de braquer le regard du grand public sur cette forme d’approvisionnement. Les clients habituels ont parfois aidé à faire le pont entre les nouveaux clients et les producteurs. Pratiquement dans tous les pays à l’étude, la demande pour des produits alimentaires de proximité est montée en flèche au début de la pandémie, accusant jusqu’à une augmentation de 400% dans un pays comme l’Australie. 

Mais encore fallait-il que les circuits courts arrivent à s’ajuster pour répondre à une telle demande, d’autant qu’en début de pandémie les mesures sanitaires exigeaient parfois la fermeture pure et simple des marchés fermiers et d’autres canaux de commercialisation en circuits courts axés sur les interactions face-à-face. Parmi les principales solutions trouvées (par les producteurs, mais aussi à l’initiative de certains consommateurs) figurent l’achat local en ligne, la redirection vers les systèmes de panier et autres canaux en circuits courts permettant de limiter les contacts humains (par exemple, les groupes Facebook). Cela exigeait parfois une capacité d’adaptation considérable, notamment en matière d’utilisation des nouvelles technologies (et tous les pays ne sont pas égaux à ce niveau, les agriculteurs d’Europe de l’Est semblant avoir rencontré des difficultés à opérer ce virage numérique). Mais dans l’ensemble, le défi a été relevé, parfois aussi grâce à l’aide d’institutions conventionnelles comme les syndicats ou les ministères ayant accompagné les producteurs dans cette transition.

L’analyse comparée entre 13 pays en matière de circuits courts au début de la pandémie indique aussi que les circuits courts ne se sont pas seulement adaptés rapidement pour répondre à cette demande élargie, ils ont offert bien plus. Rompant avec la perception des circuits courts comme des espaces élitistes, les producteurs en circuits courts ont dans plusieurs cas apporté une aide précieuse au maintien de l’approvisionnement des banques alimentaires et dans l’accès des communautés défavorisées à une alimentation de qualité. Parallèlement à cette préoccupation pour la justice alimentaire, les circuits courts ont aussi été le creuset de diverses initiatives de solidarité citoyenne afin de soutenir la production locale ou nationale.

Le succès des circuits courts au début de la pandémie s’explique aussi par des préoccupations pour une alimentation saine, pour l’innocuité alimentaire et la recherche d’aliments frais et de qualité, toutes exacerbées par la pandémie. Les circuits courts offrant des produits locaux sont apparus comme des candidats de choix du fait que les aliments empruntant cette voie franchissent moins d’étapes et sont sujets à moins de manutention. Ces qualités, perçues positivement par les consommateurs, augmentent leur confiance dans la sûreté, la qualité nutritionnelle et la fraicheur de ces aliments. 

La comparaison révèle aussi des différences dans la trajectoire des circuits courts pendant la pandémie, selon les pays. Il devient possible d’identifier des profils de pays. Ainsi, dans certains pays, la réponse des circuits courts à la pandémie a été surtout le fait d’initiatives collectives et citoyennes (France, Espagne, Italie). Ailleurs, les circuits courts ont reçu un appui institutionnel important mais sont restés le fait de noyaux de consommateurs aisés ou de classe moyenne (Canada, Australie, Argentine). Enfin, il y a le groupe formé par les autres pays (Royaume-Uni, Autriche, Corée du Sud, Luxembourg, Norvège, Japon). Dans ce groupe, l’adoption et l’utilisation des technologies de l’information et de la communication en circuits courts sont relativement poussées. L’appui gouvernemental à la promotion de l’alimentation locale a été important. Les auteurs rapportent aussi comment dans ces pays les grands détaillants ont essayé, de façon assez marquée, de mettre en avant les produits alimentaires locaux pendant la pandémie, ce qui n’est pas sans soulever des questions sur une possible conventionnalisation opportuniste des circuits courts dans ces pays, dans le contexte de la pandémie. 

Les enseignements

Au-delà des différences entre pays (et la situation au Canada et tout particulièrement au Québec est malheureusement peu renseignée), cet article offre un tableau encourageant des circuits courts. Les auteurs estiment qu’ils ont en su prendre le relais pendant la pandémie alors que le système alimentaire conventionnel dévoilait ses fragilités. Au-delà de l’aspect commercial (clientèle désormais élargie), les circuits courts ont aussi montré des valeurs de solidarité et de justice sociale et semblent avoir pu progresser en matière d’inclusion sociale. Si les nouveaux réseaux développés et les nouveaux espaces conquis sont préservés, nous assistons peut-être, comme le suggèrent les auteurs, à un nouveau chapitre dans l’histoire des circuits courts.

pdf N°18, fiche n°4 - août 2021 - septembre 2021

Fiche n°4, Bulletin n°18 – août 2021 – septembre 2021
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 12 octobre 2023 11:14
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Circuit court, Technologie, Relève, Fiche

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Publication

1 août 2021

Modification

10 novembre 2023 08:28

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