
La résilience des producteurs en circuits courts, soit leur capacité à assumer un choc, a été fortement soulignée au début de la COVID-19 et leur remarquable capacité (et rapidité) d’adaptation a attiré l’attention. La présente recherche montre le revers de la médaille de cette « résilience ». A partir d’une enquête par questionnaire auprès d’une centaine de producteurs en circuits courts dans l’Iowa et de quelques entrevues qualitatives, les auteurs montrent qu’une certaine éthique a poussé les producteurs à sacrifier leur propre intérêt sur l’autel d’une « responsabilité » perçue de nourrir leur communauté.
Les auteurs remarquent que 50% des producteurs rapportent avoir encouru des surcoûts liés aux nouvelles normes, mais seulement 30% d’entre eux indiquent avoir transféré une partie de ces coûts au consommateur. Beaucoup de producteurs, considérant que les gens étaient en difficulté, ont résisté à augmenter les prix. De plus, la difficulté de trouver une main d’œuvre qualifiée a amené des producteurs à internaliser la surcharge de travail. L’étude souligne aussi le stress énorme que représentait le simple fait de devoir trouver l’information, un peu éparpillée, sur les protocoles gouvernementaux en matière de sécurité ou encore la lourdeur des interactions sociales avec le consommateur dans le contexte pandémique. La seule décision de porter un masque devenait compliquée, tellement le port du masque divisait la société. Il arrivait même que des consommateurs conditionnent clairement leur soutien aux producteurs locaux au port du masque ou à son absence.
Par ailleurs, les producteurs ont vu déferler une vague de nouveaux consommateurs paniqués, qui habituellement s’approvisionnent en circuits longs. Ce nouvel intérêt pour les producteurs locaux a été apprécié, mais les producteurs déplorent le fait que ces consommateurs n’avaient aucune connaissance de l’agriculture, ignorant par exemple que les poules suivent un cycle et ne pondent pas des œufs à volonté. Ils ne connaissaient pas non plus le fonctionnement des circuits courts, inondant par exemple les producteurs d’appels ou de SMS et accordant peu d’intérêt à la qualité des interactions. Les producteurs regrettent aussi qu’il ait fallu une pandémie pour qu’une partie de la société se rende compte de l’importance des producteurs locaux, mais certains s’attendaient déjà au moment de l’enquête, à ce que les forces structurelles du système alimentaire conventionnel ramènent la plupart de ces consommateurs à leurs anciennes habitudes.
Les enseignements
Il est maintenant avéré que le sursaut d’intérêt pour les circuits courts du début de la pandémie s’essouffle, au Québec comme aux États-Unis ou en Europe. Les producteurs sont partagés entre inquiétudes, du fait de certains investissements réalisés pour répondre à la demande durant la pandémie, et amertume vis-à-vis de ces consommateurs volages. Cette recherche souligne que la reconnaissance, plutôt symbolique, de l’intérêt des circuits courts et des systèmes alimentaires locaux, n’a pas suffi à créer des conditions favorisant durablement leur résilience. Encore une fois les fermes ont pris sur elles, parfois au détriment du bien-être de leurs gestionnaires et de leurs travailleurs. La consolidation pérenne des fermes en circuits courts ne pourra passer pourtant que par un élargissement durable de leurs marchés.
pdf N°24, fiche n°4 – novembre – décembre 2022
Fiche n°4, Bulletin n°24 – novembre – décembre 2022
Rédaction : Stevens Azima & Patrick MundlerCette veille bibliographique vous est offerte par le groupe de recherche Agriculture, territoires et développement de l’Université Laval avec le soutien du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.