Seriez-vous prêts à payer plus pour résider près d’un marché fermier ?

Depuis le début des années 2000, la recherche s’intéresse à la façon dont les circuits courts peuvent contribuer à dynamiser l’économie locale. Elle a identifié que cette contribution pouvait passer par les ventes générées, par des dépenses indirectes ou induites ou encore par des effets d’entrainement impliquant d’autres entreprises de la région. Mais la question de l’impact des circuits courts sur le secteur immobilier est restée très peu étudiée. Cet article l’explore en utilisant une série de modèles économétriques, alimentés par diverses sources de données (recensement, répertoire de marchés fermiers, etc.). Elle arrive ainsi à capturer comment l’acheteur d’une propriété valorise chaque attribut d’une maison, en particulier sa distance avec le marché fermier le plus proche. Étant donné les bénéfices sociaux (notamment en matière d’interactions sociales) associés à ces circuits courts, l’auteure fait l’hypothèse que leur présence dans une zone est recherchée par les consommateurs et cette préférence se traduit par une disposition à payer plus élevée pour les maisons proches de ces espaces. L’analyse de transactions qui se sont déroulées autour de 40 marchés fermiers, de 2007 à 2012 (soit un peu plus de 87 000 transactions) dans la région métropolitaine de Baltimore-Columbia-Towson dans le Maryland semble confirmer cette hypothèse.

Plus près : plus recherchées mais aussi plus chères

Même en utilisant un modèle simple, on trouve qu’une augmentation de la distance qui sépare une maison du marché fermier le plus proche (cette distance peut changer au fil des années avec l’arrivée de nouveaux marchés fermiers) de 1 mile se traduit par une baisse de 0,82% du prix de cette maison. Les modèles plus sophistiqués confirment cette tendance. Par exemple, le modèle le plus fin, qui prend en compte à la fois l’effet du temps sur le prix des maisons, l’effet local de la municipalité en question et l’effet des marchés régionaux (au-delà des frontières officielles des localités), indique une baisse de 0,63% du prix pour une même augmentation de la distance.

Dans tous les cas, ce que cela traduit, c’est une valorisation de la proximité avec les marchés fermiers. Si on interprète ces résultats dans le sens inverse, chaque fois qu’un nouveau marché fermier s’installe à proximité d’une maison, le prix de cette maison est susceptible d’augmenter de 119 dollars (US) par tranche de 100 mètres de distance avec le marché. Mais à mesure que le marché s’éloigne, cet effet s’estompe et disparaît au-delà de 10 km de distance du marché fermier le plus proche.

La deuxième démarche de l’auteure a été de tester si ces résultats tiennent quand on sépare les marchés fermiers en fonction de certaines caractéristiques de ces marchés ou du statut socioéconomique des habitants. Ainsi, les critères adoptés ont été : la taille des marchés fermiers (nombre de vendeurs), l’ancienneté des marchés fermiers (âge), le jour de fonctionnement des marchés (en semaine ou en fin de semaine) ou l’accès à une épicerie conventionnelle dans la zone (selon que la zone est une zone socialement défavorisée ou non). L’analyse indique que les caractéristiques du marché ne changent pas le résultat, quel que soit le sous-groupe considéré. La relation entre prix des maisons et distance du marché fermier le plus proche disparait seulement pour les marchés les plus anciens (plus de 15 ans de fonctionnement). En revanche, du point de vue socioéconomique, l’analyse révèle que l’existence d’un marché fermier à proximité est encore plus valorisée dans les milieux défavorisés et dans les zones ayant un plus faible accès à des supermarchés, ce qui se traduit (presque paradoxalement) par une plus forte augmentation du prix des maisons.

L’auteure a voulu tester la solidité des résultats et réaliser plus de tests permettant de limiter les biais liés au mode d’échantillonnage ou au type de variables incluses dans l’analyse. Par exemple, qu’advient-il si on prend en compte l’influence de facteurs (comme l’accessibilité des transports publics) qui affecteraient à la fois le prix des maisons et la distance des fermes ? Les tests révèlent que cela n’apporte aucun changement important, la relation entre prix des maisons et proximité des marchés fermiers restant identique. Plus globalement, quels que soient les tests auxquels l’auteure soumet ses résultats, les résultats restent les mêmes et la relation entre valeurs des maisons et proximité des marchés fermiers semble robuste. Cela dit, les techniques appliquées comportent aussi leurs propres limites qui invitent à rester prudent avant de conclure à une relation de cause à effet entre la proximité des marchés fermiers avec une maison et le prix de cette maison. L’article montre un lien statistique solide entre la proximité des marchés fermiers et la valeur des maisons, mais il ne permet pas de déterminer le sens de la causalité.

Ces résultats ont des implications politiques importantes. Les interventions publiques (notamment aux États-Unis) visant à faciliter l’accès aux marchés fermiers, surtout pour les plus démunis, peuvent certes étendre les bénéfices sociaux et nutritionnels des marchés fermiers à une population plus large mais elles pourraient aussi avoir pour effet (peut-être non souhaité) de faire augmenter le prix des maisons et de favoriser la gentrification de certains quartiers et l’exclusion des populations plus marginalisées.

Les enseignements

Cet article présente un résultat neuf, en montrant une relation entre la valeur des maisons et l’existence de « commodités » comme un marché fermier à proximité. Les marchés fermiers participent donc de diverses façons à l’économie locale et iraient jusqu’à impacter le marché immobilier en tirant les prix vers le haut. En ce sens, cet article montre que les marchés fermiers sont bien des aménités et apportent un « plus » à un quartier ou à une localité. Les décideurs qui veulent encourager l’implantation de marchés fermiers doivent donc trouver un équilibre entre leur promotion pour une plus grande justice alimentaire et le risque d’effets pervers sur le marché du logement, sachant que ces effets peuvent à leur tour conduire à de l’exclusion sociale et à l’embourgeoisement des localités concernées.

pdf N°14, fiche n°1 - décembre 2020 - janvier 2021

Fiche n°1, Bulletin n°14 – décembre 2020 – janvier 2021
Rédaction: Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 19 octobre 2023 12:02
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Circuit court, Fiche

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Publication

1 décembre 2020

Modification

10 novembre 2023 10:21

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