0.2. Introduction | Mémoire sur les communautés de pratique

ℹ️ Contexte 
Cette note fait partie du carnet "La communauté de pratique comme stratégie de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale", un mémoire qui propose un regard critique sur le déploiement de la démarche Passerelles 1 (2018-2022) et qui vise à identifier les conditions de succès et les facteurs à considérer pour ce type particulier de communautés de pratique (CdP).
Table des matières | Résumé | Références

Ce mémoire s’intéresse à la collaboration comme source d’apprentissage et de transformation des pratiques à l’intérieur des organisations et entre elles. La communauté de pratique1 (CdP2) y est vue comme une des stratégies structurantes pour favoriser une approche circulaire de transfert des connaissances (TC). Plus spécifiquement, la question est étudiée sous l’angle des personnes qui agissent, professionnellement ou non, dans le champ de l’innovation sociale au Québec.

Je m’intéresse au concept de CdP depuis une quinzaine d’années. Après avoir étudié en arts et technologie des médias puis en animation et recherche culturelles, je me suis impliqué comme citoyen dans diverses organisations liées au monde culturel, éducatif, environnemental et rural. Partout, j’ai décelé des besoins de soutien pour recourir plus stratégiquement à des méthodologies et à des outils numériques pour soutenir la communication, la collaboration et le partage des connaissances. Les firmes offrant des services de développement numérique n’étaient pas adaptées au contexte des entreprises d’économie sociale et aux organismes communautaires, en raison de leur approche, d’une mauvaise compréhension des besoins ou des tarifs exigés. Parallèlement, des solutions numériques libres atteignaient un certain niveau de maturité, devenant plus accessibles, performantes, stables et adaptables à divers cas d’usage. C’est alors que j’ai commencé à offrir mes services d’accompagnement et de développement de solutions numériques axées sur la communication et la collaboration.

Pendant une dizaine d’années, j’ai développé plus d’une centaine de projets avec 70 organisations clientes. La refonte d’un site web informationnel est souvent devenue une occasion pour entreprendre des réflexions plus larges sur les besoins de collaboration à l’intérieur de l’organisation, avec les membres ou la clientèle desservies ainsi qu’avec les organisations partenaires. Ceci m’a amené, par exemple, à développer un grand nombre d’intranets, soit des sections privées d’un site web public destinées à échanger et partager des références communes. Il s’agissait généralement d’outils simples avec la gestion d’un compte utilisateur·trice, divers niveaux de droits d’accès, des forums de discussion, des bibliothèques de contenus partagés offrant des systèmes de classification et des outils de recherche, ainsi que des wikis, permettant une écriture collaborative asynchrone avec suivi des modifications.

La presque totalité de ces outils a suscité très peu de collaboration. Ils sont généralement restés vides et inactifs. Ce constat m’a amené à réfléchir davantage aux conditions favorables à l’émergence d’une démarche collaborative dans un milieu donné. Déjà, un constat s’imposait naturellement : l’existence d’un outil est loin d’être suffisante pour transformer les pratiques. De plus, ces démarches ne s’effectuaient pas à partir d’une analyse des besoins prenant en considération l’avis des personnes concernées. Il s’agissait en effet généralement de démarches pilotées par une personne ou un petit groupe de personnes ayant perçu intuitivement un besoin général sans le valider ou le définir de manière plus précise. Finalement, ces démarches ne s’appuyaient pas sur une animation et un engagement fort de l’organisation responsable pour mobiliser les personnes concernées, pour stimuler les échanges et pour contribuer à intégrer de nouvelles pratiques. Au fil du temps, il m’est arrivé d’aller jusqu’à refuser de développer des outils collaboratifs si les conditions de réussite ne semblaient pas réunies, en expliquant aux client·es concerné·es que les sommes prévues pour ces développements seraient à mon avis mieux investies dans une analyse des besoins et dans l’animation de processus collaboratifs.

Un projet a fait exception : le Central des agents ruraux du Québec, un projet piloté par Solidarité rurale du Québec. Cette démarche, qui sera décrite plus loin, s’est appuyée sur les principes des CdP, a été développée avec la participation étroite des membres, a été soutenue par le CEFRIO et a été animée de manière soutenue par l’organisation responsable. C’est donc à ce moment, en 2008, que j’ai commencé à m’intéresser à ce concept et à étudier attentivement les interactions sur l’outil numérique dont l’entretien était sous ma responsabilité. Malheureusement, cette expérience s’est arrêtée subitement en 2014, alors que le financement de l’organisation et de plusieurs instances de concertation au Québec a été coupé.

La disparition du Central des agents a créé un vide. Les membres souhaitaient poursuivre l’expérience et même l’élargir à d’autres professionnel·les impliqué·es dans le développement rural, permettant alors des collaborations intersectorielles pour résoudre des problématiques complexes. En constatant ces besoins et en percevant intuitivement qu’un « réseau de CdP » pouvait constituer un effet levier important pour les communautés locales, j’ai progressivement abandonné ma pratique de développement web pour concevoir une démarche plus large. En 2016, l’organisation Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS) a accepté de devenir porteur d’un projet qui allait donner naissance, deux années plus tard, à la plateforme Passerelles, qui se voulait alors « une mosaïque de CdP ». Regroupant plus de 5000 personnes et près de 200 CdP, cette démarche est devenue un riche terrain d’expérimentation et de recherche.

À titre de conseiller en transfert des connaissances et responsable de la démarche de janvier 2016 à décembre 2021, j’ai pu étudier de plus près le déploiement de plusieurs CdP. Différentes questions ont guidé les réflexions critiques de notre équipe:

  • Comment les CdP contribuent-elles au transfert de connaissances et à la collaboration ?
  • Quels sont les effets observables dans la pratique ?
  • Quelles sont les conditions de succès, notamment dans le champ de l’innovation sociale et dans un contexte impliquant plusieurs organisations distinctes ?
  • Comment pourrions-nous optimiser les retombées des CdP pour contribuer à l’action des personnes qui travaillent à construire une société plus juste, équitable et durable ?

Parallèlement à mon travail au TIESS, je me suis inscrit au DESS en formation à distance à la TÉLUQ. Mes études m’ont amené à réfléchir à l’apprentissage tout au long de la vie, au co-apprentissage ainsi qu’à l’utilisation des outils numériques pour soutenir le développement des compétences et la transformation des pratiques. Mon travail au TIESS et mes études en éducation m’ont amené à m’intéresser à la littérature scientifique sur les CdP. Un jour, alors que nous travaillions sur l’évaluation de Passerelles, a émergé l’idée de documenter ces apprentissages, d’en faire un mémoire de maîtrise et d’en diffuser les résultats pour inspirer des démarches connexes. L’idée de produire une version synthétisée et axée sur l’action, sous forme de guide pratique à l’intention des responsables de l’animation des CdP, a également fait surface. 

Le sujet peut être vaste et de nombreux angles peuvent être couverts. J’ai vite réalisé qu’il fallait concentrer le champ d’études sur des questions précises pour aboutir à un projet réaliste, concret et utile. Le titre de ce mémoire marque le choix d’un angle, soit de réfléchir aux conditions de succès des CdP comme stratégies de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale. Cette recherche vise également à mieux outiller les professionnel·les du transfert de connaissances qui souhaitent recourir à ce type de stratégie et à formuler des recommandations concrètes concernant la conception de démarches collaboratives. Ultimement, cette recherche vise à apporter une humble contribution pour mieux comprendre l’apport des processus de mobilisation des savoirs, de co-apprentissage et de co-construction de nouvelles connaissances pour favoriser l’émancipation sociale et la transformation des modèles.

Le contexte des CdP en innovation sociale au Québec est d’abord décrit dans la problématique, de même que l’état de la recherche et les expériences spécifiques du Central des agents et de Passerelles. Ceci comprend des constats découlant de l’évaluation de Passerelles ainsi que des hypothèses concernant différents types d’enjeux liés au numérique, à la collaboration, à la gestion des connaissances et aux relations entre les CdP. Le cadre théorique se découpe en deux principales parties, permettant de définir le transfert de connaissances et de mieux comprendre les concepts liés aux CdP et leurs conditions de succès. Dans la partie portant sur la méthodologie, des précisions sont apportées concernant la collecte et l’analyse des données dans le cadre du projet Passerelles, dans le respect à la fois du cadre éthique de la TÉLUQ et de la politique de confidentialité de la plateforme numérique. Les résultats présentent l’analyse des conditions de succès de six cas choisis. Ces conditions de succès sont mises en relation avec les caractéristiques structurelles de chaque cas. La discussion sur les résultats apporte des hypothèses sur le caractère spécifique du champ de l’innovation sociale. Elle permet aussi d’élargir la question de recherche vers de nouvelles perspectives qui sont ainsi mises en lumière. Le mémoire est complété par des réflexions concernant l’articulation entre la collaboration et le transfert de connaissances.

Ce mémoire permet de dégager des constats à considérer dans l’animation des CdP, concernant par exemple les caractéristiques spécifiques au déploiement de CdP regroupant des membres issus d’une multitude d’organisations. Il permet aussi de mettre en lumière de nouvelles pistes d’action, dont certaines pourront être étudiées dans les phases subséquentes de déploiement de Passerelles.

Notes

  • [1] L’Office québécois de la langue française conseille l’utilisation du terme « communauté de praticien·nes », puisque le terme communauté de pratique, calqué de l'anglais community of practice, est boiteuse. En effet, une communauté devrait faire référence à des personnes et non à des activités. Le terme communauté de pratique sera néanmoins utilisé dans ce mémoire étant donné que l’expression est largement reconnue.
  • [2] L’abréviation CoP est également utilisée dans certaines citations, en référence au terme anglophone. L’acronyme CdP est ici utilisé pour désigner à la fois la communauté de pratique au singulier et les communautés de pratique au pluriel.

Suite : 1. Problématique

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Intégré par Joël Nadeau, le 5 décembre 2023 11:20
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5 décembre 2023

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6 décembre 2023 17:35

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